Beaucoup, sinon la plupart des races ont un spécimen qui, pour une raison ou une autre, atteint le statut de légende, et avec lequel tous ceux qui viennent après sont tenus en comparaison. Et au fur et à mesure que l'on fait reculer les générations de Sibériens, après le vainqueur du Best in Show de cette année et le meilleur producteur ou meilleur chien de tête de l'année dernière, toujours dans le paysage blanc et gelé du passé, Togo se profile: petit, sombre, compact, inconscient des louanges qui ont été accumulées sur lui, irrévérencieux, rusé, et, à part cet équilibre certain, la confiante aptitude à commander comme un vrai Sibérien, sans vergogne, irréfutable.
Togo est né dans le chenil de Leonhard Seppala à Little Creek, en Alaska, probablement en 1915 ou 1916. Nommé d'après le célèbre amiral japonais, il a été engendré par le chien de tête de Sepga Suggen, qui a mené l'attelage de Sibériens à la perte puis à la victoire de l'Alaska Sweepstake de 1914 et 1915. Sa mère était une chienne nommée Dolly. Il était l'unique chiot de la portée et, selon Seppala, était solitaire, parfois maussade et souvent espiègle. Il a d'abord appartenu à un homme nommé Victor Anderson, mais comme il s'est avéré trop pénible, Anderson l'a renvoyé à Seppala à l'âge de six mois environ. Seppala, à son tour, a donné le chiot à une femme qui voulait un animal de compagnie. Mais malgré toute l'attention prodiguée qu'il a reçue dans cette nouvelle maison, Togo a cassé sa chaîne à plusieurs reprises et a fini par sauté à travers la fenêtre pour retourner à Little Creek. Cédant enfin à l'inévitable, Seppala reprit le chiot et décida de le garder.
Ravi d'être de retour dans le seul environnement qu'il appréciait apparemment, Togo a parcouru la toundra environnante sans modération ou s'est échappé pour courir à côté de l'attelage faisant son entrainement quotidien. Cette dernière activité semblait avoir un attrait particulier pour le chiot, mais devint bientôt très agaçante pour Seppala, car Togo n'aimait rien de mieux que de passer devant l'attelage, tentant sa chance pour pincer l'une ou l'autre des oreilles des chiens, pour enfin s'enfuir plus loin rapidement. En conséquence, alors que Seppala envisageait un déplacement à Dime Creek en novembre, il laissa Togo dans le grand chenil avec une clôture en fil de fer de sept pieds (2.13 m) avec des instructions au handler du chenil. Le chiot ne devait être libéré que deux jours après le départ de l'attelage. Togo, chose tout à fait inhabituelle, n'a montré aucun signe extérieur de déception d'avoir été laissé. Mais, cette nuit-là, Togo a fait un bond en avant et a presque réussi. Cependant, une patte arrière, s'est coincée dans le grillage et lorsque le handler du chenil est sorti pour voir ce qui provoquait l'agitation, il a trouvé le petit chien suspendu à l'envers à l'extérieur de la clôture avec une entaille sévère à la patte. Mais la seule préoccupation du chien semblait de rattraper l'attelage, et lorsqu'il fut détaché, il a rapidement disparu dans la nuit. Seppala campait à Salomon cette nuit-là. Quand il est reparti le lendemain matin, l'attelage a commencé à tirer avec une vitesse inhabituelle, et Seppala a pensé qu'ils devaient avoir senti l'odeur du renne. Alors que le soleil se levait et que le vent tombait, Seppala a vu ce qui semblait être un renard, là, devant sur la piste. Aussi, n'en croyant à peine ses yeux, il se rendit compte que c'était Togo. A ce moment, le chiot chargea l'attelage, mordillant le leader sur l'oreille en passant et a réussi à faire des ravages pour le reste de la journée.
Après avoir bandé sa patte du mieux qu'il le pouvait, Seppala décida le lendemain qu'il n'y avait plus rien à faire pour ce fauteur de troubles de huit mois, mais essaya tout de même de l'atteler avec le reste des chiens. Comme d'habitude avec les nouveaux chiens, il fut placé loin derrière dans l'attelage afin que Seppala puisse garder un œil sur lui. Une fois dans le harnais cependant, le Togo a travaillé comme un vétéran, comme si c'était juste la chance qu'il avait toujours attendu. Au fur et à mesure que la journée avançait et qu'il continuait à travailler plus dur que tous les autres, il fut progressivement promu en avant jusqu'à ce que, à la fin de la journée, il partage la position en tête d'attelage, avec le leader le plus expérimenté de Seppala. Inutile de dire que Seppala ne pouvait à peine croire ce qu'il voyait. Il avait un chiot âgé de huit mois seulement, qui n'avait jamais été harnaché, qui avait une jambe blessée, mais qui, lors de son premier jour sur la piste, avait parcouru 75 miles et avait pris la tête d'un attelage chevronné. À partir de ce jour, Togo a été le favori et celui sur lequel on pouvait toujours compter.
Même à maturité, le Togo ne pesait que 48 livres (24 kg). Mais au fil des années, sa force, sa vitesse et son endurance sont devenues légendaires dans toute l'Alaska, et sa réputation de chien de tête n'a été rivalisée que par celle de Kolma, le célèbre chien de tête de John "Iron Man" Johnson qui a dirigé l'attelage record de Sibériens pendant la All Alaska Sweepstake de 1910.
On ne sait pas exactement quand Togo devint le leader officiel de l'attelage de Seppala. Sa première grande course fut probablement le Marathon de Borden en 1918. Il est certain qu'il a été leader dans plupart des courses après les Sweepstakes et que pendant toutes ses années en tant que leader, il a remporté le titre de "chien le plus voyageur au monde", enregistrant, selon l'estimation de Seppala, environ 5000 miles au cours de sa carrière.
En 1925, c'est Togo que Seppala utilisa pour diriger l'attelage sur la Route du Sérum. Et pendant cette course, selon Seppala, le célèbre leader a travaillé plus fort et mieux que jamais. Mais les kilomètres avaient fait des ravages, et la Route du Serum fut la dernière longue course faite par le vieux chien. Parce qu'il avait parcouru les 340 milles dans l'intérêt du sérum, et que la course lui laissa une boiterie permanente, il n'est pas surprenant que beaucoup aient été consternés lorsque des journalistes des États-Unis ont fait la plus grande publicité à un chien nommé Balto, l'un des deux chiens de rechange que Seppala avait laissés avec son attelage secondaire que Gunnar Kasson avait utilisés pour relayer le sérum sur les cinquante derniers kilomètres jusqu'à Nome.
Impressionnés par le son romantique de son nom, les journalistes avaient simplement donné la performance en tant que chien de tête de Togo à Balto et l'avaient ainsi annoncé comme "le plus grand leader des courses en Alaska". Par conséquent, la statue qui a été érigée à Central Park, New York, pour commémorer l'événement porte le nom de Balto au lieu de Togo.
Heureusement, la gloire n'est pas une aspiration canine et le Togo a vécu le reste de sa vie avec tout le confort et l'attention qu'il méritait. En voyageant aux États-Unis, Seppala l'a présenté en cadeau à Mme Elizabeth Ricker, estimant que la vie plus facile de son chenil convenait mieux à son âge. C'est ici, à Poland Spring dans le Maine, qu'il est décédé le 5 décembre 1929. Le corps de Togo a été emmené au musée Peabody de l'Université de Yale où Ralph C. Morrill l'a préparé pour l'exposition avec d'autres chiens célèbres de la Whitney Collection. Par la suite, il a été transféré au Shelbourne Museum près de Burlington, dans le Vermont, où chaque été des amateurs de Huskies Sibériens de tout le pays viennent rendre hommage au chien qui, plus que tout autre, est venu symboliser les mots sur la statue de Balto dans Central Park, New York.
On peut y lire: Dédié à l'esprit indomptable des chiens de traîneau qui ont relayé l'antitoxine sur six cents miles sur la glace agitée, à travers les eaux dangereuses et les blizzards arctiques depuis Nenana, soulageant Nome frappé en plein hiver 1925.
Endurance, fidélité, intelligence.